LE CYCLE DE NOËL

Elle enseigne : c’est une école de la foi. L’une après l’autre, au cours de l’année liturgique, les vérités de la foi nous sont présentées et rappelées.
     
C’est une éducatrice zélée : elle ne veut pas seulement nous communiquer les vérités de la foi, elle veut nous rendre meilleurs, nous éduquer pour le ciel. A travers tous les jours de l’année liturgique, le même appel s’adresse à notre cœur : déposez le vieil homme et revêtez le nouveau. Cette éducatrice recourt à tous les moyens d’éducation, douceur et sévérité, récompense et peine, exemples qui doivent nous porter au bien ou nous détourner du mal. Elle fait appel à toute la hiérarchie des motifs : amour, compassion, crainte, désirs, réflexion, pénitence. Quelle haute valeur éducative n’ont pas les fêtes des saints quand l’Église nous conduit à travers la galerie de ses héros et presque chaque jour nous procure la compagnie de l’un d’eux !
     
L’année liturgique est un guide expérimenté sur le chemin du ciel. Elle connaît l’âme humaine avec ses lassitudes, elle ne lui demande pas trop, elle connaît le chemin et les dangers du chemin, elle l’empêche de s’égarer ; sans doute, elle ne conduit pas le pèlerin terrestre par la voie large et facile, elle la mène par la voie étroite, escarpée et pierreuse, mais elle lui ménage des instants de repos et un viatique.
     
L’année liturgique est une mère aimante et patiente. De combien de patience a besoin l’âme pour se dégager de tous les pièges de la terre ! Avec bonne volonté elle commence, mais bientôt toutes ses bonnes résolutions sont oubliées. Alors comme une mère patiente, l’année liturgique vient à son secours : “ Recommence toujours ”, lui dit-elle, tous les ans, à l’Avent, tous les ans, au Carême ; bien plus, chaque dimanche, l’âme doit déposer son habit usé de la semaine et prendre sa “ robe du dimanche ”. Cette mère ne perd jamais patience, elle espère toujours : “ Si vous n’avez pas réussi hier peut-être réussirez-vous aujourd’hui. ” Cette mère patiente sait toucher toutes les cordes dans le cœur de ses enfants, depuis l’amour le plus tendre jusqu’au sérieux le plus amer ; elle n’a qu’un but, le bien de ses enfants, le salut de leurs âmes immortelles. Oui l’année liturgique est le guide de nos âmes et nous devons lui donner toute notre confiance. Nous pouvons donc considérer l’année liturgique sous un double aspect : objectivement, comme l’année de la vie divine : comme l’année, vitale du Christ mystique ; subjectivement comme l’école éducatrice de la perfection chrétienne.
     
L’année sainte est, comme l’année naturelle, divisée en deux parties. La première sort de la nuit et tend vers la lumière, c’est le cycle de Noël ; dans l’autre règne la lumière, c’est le cycle pascal. Ces deux cycles sont sans doute ordonnés l’un à l’autre (le premier est, pour ainsi dire, le prélude du second). Néanmoins chaque cycle est indépendant ; chacun a une époque de préparation, un temps festival et une prolongation.
     
Nous entrons d’abord dans le cycle de Noël. Ce temps parle beaucoup à notre sensibilité. Ce combat, qui nous mène, à travers la nuit, vers la lumière, est passionnant. En outre, les aspirations et l’attente de l’Avent correspondent au sentiment du cœur humain pour la patrie. De même, l’histoire de l’enfance de Jésus, avec son caractère d’intimité, et surtout la fête de Noël des familles chrétiennes font de ce temps le plus beau de l’année.
     
Cependant la liturgie nous invite à regarder plus profondément. Si nous demandons : Que célébrons-nous dans le temps de Noël ? la réponse est celle-ci : l’avènement du Christ. Avent veut dire : avènement ; Épiphanie veut dire : apparition ou avènement. Par conséquent, la célébration de la venue du Seigneur est le contenu du temps de Noël.
     
On pourrait se demander de quel avènement il est question, car nous savons qu’il y a un double et même un triple avènement du Seigneur.
     
Le premier avènement a eu lieu dans la chair, quand le Verbe s’est fait Homme ; le second aura lieu dans la puissance et la gloire, au dernier jour. Entre les deux il y a encore une venue du Seigneur qu’on peut aussi appeler avènement. Le Christ en parle une fois : “ Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons en lui et nous ferons de lui notre demeure ” (Jean CIV, 23). C’est la venue du Christ dans la grâce. Nous nous demandons à quelle venue pense l’Église dans le temps de Noël. Pendant l’automne ecclésiastique, c’est-à-dire pendant les derniers mois de l’année liturgique, l’Église nous a déjà préparés à la venue du Christ, c’était donc déjà un Avent, mais un Avent tout différent.
     
La comparaison de ces deux Avents nous permettra de mieux connaître la caractéristique de chacun. Pendant l’automne ecclésiastique, l’Église nous a mis devant les yeux le second avènement du Christ, l’avènement dans la puissance. Nous nous avancions avec une attente croissante, mais aussi avec tremblement, à la rencontre du Seigneur qui doit revenir. Le dernier dimanche, le Roi et le juge se tenait devant nous dans sa majesté. Ainsi l’automne ecclésiastique était une préparation au second avènement du Christ, à la Parousie. Mais comme la liturgie travaille aussi pour le présent, elle revenait sans cesse à notre vie présente ; elle nous présentait la Parousie comme un grave motif de changement de vie. Enfin le retour du Seigneur était aussi une image et un symbole de la venue du Christ en nous par la grâce.
  
Il en est tout autrement au temps de Noël. Ici la venue du Christ n’est pas le terme du drame ; c’en est le commencement. Il peut se faire que dans l’antiquité, la pensée du second avènement ait été plus fortement marquée. Aujourd’hui elle n’a qu’une importance faible. Les chrétiens d’aujourd’hui, en célébrant Noël, ne pensent pas sérieusement au second avènement du Seigneur. Le premier nous occupe complètement. Nous y voyons, au reste, une image et un symbole, ou pour mieux dire, le drame sacré de la venue du Christ dans nos âmes par la grâce. C’est le contenu principal du cycle de Noël. Nous pouvons dire, par conséquent, que, dans l’automne ecclésiastique, l’Église insiste sur l’avenir et la pensée de l’avenir sert au présent. Le cycle de Noël, par contre, a le présent pour point central, le passé n’est qu’une image et un symbole, l’avenir n’apparaît que dans le lointain sombre.
  
Ainsi donc le triple avènement du Christ est l’objet du cycle de Noël. La liturgie envisage le fait historique du premier avènement, elle pense à la visite actuelle par la grâce et, dans la perspective prophétique, elle considère le retour du Seigneur. Cette constatation nous sera utile dans l’explication des textes ; elle nous servira aussi à célébrer ce temps d’une manière convenable et fructueuse. Nous trouvons, dans des termes brefs et frappants l’expression de ce triple avènement à l’hymne des Matines de l’Avent.
Premier avènement :
Tu descendis, Verbe adorable,
Du sein de ton Père éternel
Et ta naissance dans l’étable
A sauvé le monde à Noël.
Avènement de grâce :
Allume en nos cœurs ta lumière
Et brûle-les de ton amour,
Pour que méprisant la matière
Ils vivent pour toi chaque jour.
Deuxième avènement :
Lorsque ta voix, Juge sévère,
Enverra les damnés au feu
Et qu’au royaume de ton Père
S’en iront les enfants de Dieu,
Des noirs tourbillons de la flamme
Daigne préserver tes enfants ;
En ton ciel accueille notre âme
Parmi tes élus triomphants.
L’avènement du Seigneur nous est maintenant présenté d’une manière dramatique dans une triple série d’images :
     
1. Une série d’images historiques : la venue du Seigneur dans la chair. Cette image apparaît à travers tout le cycle. Pendant l’Avent, nous assistons déjà aux préliminaires de l’histoire de la naissance ; à Noël, nous sommes témoins de la naissance ; et ensuite, jusqu’à l’Épiphanie, nous lisons l’histoire de l’Enfance. Après l’Épiphanie nous voyons passer devant nos yeux des scènes de la vie ultérieure du Seigneur. Cette série d’images correspond au premier avènement du Christ.
     
2. Une image des derniers temps : le retour du Seigneur. On comprend que cette image soit obscure et voilée, car elle appartient à l’avenir. Le premier dimanche de l’Avent, elle est au premier plan. Ensuite elle est de plus en plus pâle et invisible. Cette image désigne le second avènement du Seigneur.
     
3. Une série d’images symboliques : la visite festivale du Roi divin dans Jérusalem qui est en même temps son Épouse. Pendant l’Avent, nous assistons aux préparatifs, sans cesse plus actifs, de l’Église à la visite œ et aux noces du Roi. Nous entendons les appels du héraut. Il nous est permis de participer à la réception du Roi et même de nous asseoir à la table des noces. Cette série d’images correspond à la venue du Christ par la grâce. Cette venue devient une réalité : nous pouvons entrer dans la fête et même en transporter la scène dans notre âme. Dans l’Église, nous sommes nous-mêmes la ville de, Jérusalem que le Roi visite ; notre âme est l’épouse qu’il vient épouser et conduire aux noces.
     
Ces trois images alternent et s’entrelacent dans les textes liturgiques : tantôt l’une brille davantage, tantôt l’autre ; tantôt l’une apparaît à travers l’autre. C’est justement ce changement qui donne à la liturgie du cycle d’hiver un caractère si poétique et si dramatique. L’âme trouve sans cesse un aliment pour l’imagination, la sensibilité et l’intelligence.
Encore une pensée. Il faut considérer tout le cycle d’hiver comme formant un ensemble unique. C’est comme un grand jour de fête. L’aurore se lève avec le premier dimanche de l’Avent (“ Il est temps de sortir du sommeil ”) ; le soleil brille à l’horizon au jour de Noël ; il est à son midi au jour de l’Épiphanie et la Chandeleur est son crépuscule qui fait déjà pressentir le soir sanglant de la Passion.
Essayons maintenant, en nous basant sur ces tableaux, de résumer le cycle de Noël et de donner le sommaire des scènes de ce “ mystère ”. Cela permettra au lecteur de mieux se rendre compte du caractère dramatique de l’année liturgique.
     
Sujet du mystère : la Parousie de grâce de l’Époux divin.
     
A. Le drame commence (Avent) : Préparatifs de l’arrivée de l’Époux.
I. Il vient.
1. On l’aperçoit dans le lointain (1 Dim. Av.).
2. Jérusalem se prépare (2 Dim. Av.).
II. Il est déjà proche.
3. Première joie (3 Dim. Av.).
4. Le Roi prend ses haillons (Quatre-Temps).
5. Derniers préparatifs et appels ardents de l’Épouse (Ant. O.).
6. Devant les portes éternelles (Vigile de Noël).
B. Au point culminant du drame.
I. Le Roi vient dans son habit d’esclave (Noël).
a) Sa suite :
Les martyrs (S. Étienne).
Les Vierges (S. Jean).
Les Enfants (SS. Innocents).
b) Son regard vers la Croix (Dim. dans l’Octave).
II. Le Roi vient dans sa majesté (Épiphanie).
a) Il rassemble les hôtes de ses noces (les Rois Mages).
b) Il purifie son Épouse (Baptême dans le Jourdain).
c) Il donne son banquet nuptial (2e dim. après l’Épiphanie).
III. L’Épouse prépare sa robe nuptiale (Chandeleur).
C. Le drame s’achève (Dimanches après l’Épiphanie).
a) Le Sauveur (38 dim.).
b) Le vainqueur (48 dim.).
c) Le juge sage (58 dim.).
d) L’accroissement de son royaume (68 dim.).
Tel est le drame sacré, le “ mystère” du cycle de Noël. Ce “ mystère ” recouvre une réalité sublime et pure. Le Christ communique à son Épouse, l’Église, sa vie divine. Elle doit “ avoir la Vie et l’avoir en abondance ”.