L’Agneau et le Lion.
1. Les matines de Pâques. — “
Le Seigneur est vraiment ressuscité, Alleluia ”. C’est ainsi que l’Invitatoire
proclame le joyeux message à toute la chrétienté rachetée. Les matines de
Pâques sont courtes, ce sont les plus certes de l’année. Au reste, la liturgie
de Pâques, dans sa beauté classique, est d’une concision presque sévère. Dans
les très grandes émotions, l’homme ne trouve pas d’expression, c’est pourquoi
la liturgie renonce à tout moyen artistique. Dans la prière des Heures, elle
écarte les hymnes et ne choisit pas de psaumes spéciaux. Nous sommes presque
déçus de cette simplicité. Les matines n’ont qu’un nocturne, car la plus grande
partie de la nuit a été occupée par l’office de la nuit de Pâques. La liturgie
nous fait réciter les trois premiers psaumes. On est un peu étonné, car il nous
semble qu’il y a des psaumes adaptés à la fête de Pâques. Les raisons de ce
choix sont vraisemblablement les suivantes : 1. L’Église veut nous
dire : A Pâques, nous recommençons au commencement : nous sommes,
pour ainsi dire, des hommes nouveaux qui commençons une nouvelle œuvre. 2. La
seconde raison est celle qui nous fait laisser de côté les hymnes ; en ces
jours de la plus grande joie festivale, l’Église renonce à toute expression
extérieure de son émotion ; elle prend les trois premiers psaumes à la
suite. 3. Enfin, les trois premiers psaumes représentent tout le
psautier ; l’Église veut nous dire : tous les psaumes louent le
Ressuscité.
Saint Grégoire nous fait entendre à matines un sermon
qu’il prononça, le dimanche de Pâques, dans la basilique de la Sainte Vierge
Marie” : “ Vous avez entendu, très chers frères, que les saintes femmes
qui avaient suivi le Seigneur vinrent au tombeau avec des aromates, afin
d’entourer de soins pieux, même après sa mort, celui qu’elles avaient aimé
pendant sa vie. Cette action nous indique qu’il doit se faire quelque chose
dans la sainte Église. Nous devons, en effet, entendre l’histoire sainte en
nous demandant ce que nous devons en imiter. Nous aussi qui croyons au Mort,
nous pouvons, en vérité, venir à son tombeau avec des aromates, si, remplis du
parfum des vertus, nous cherchons le Seigneur avec la foi des bonnes œuvres.
Or, les femmes qui vinrent avec des aromates virent des anges. En effet, les
cœurs qui, dans le parfum des vertus, se hâtent par de saints désirs vers le
Seigneur, arrivent à voir les habitants du ciel. Nous devons maintenant
examiner ce que signifie le fait que l’ange est aperçu assis à droite. Que
signifie la gauche sinon la vie présente, et que signifie la droite sinon la
vie éternelle ? C’est pourquoi il est dit dans le Cantique des
cantiques : “ Sa gauche soutient ma tête et sa droite m’embrasse” (Cant.,
II, 6). Or, comme notre Rédempteur avait déjà triomphé de la corruptibilité de
la vie présente, il convenait que l’ange qui était venu pour annoncer sa vie
éternelle fût assis à droite. Il apparut en vêtement blanc, car il annonçait la
joie de notre fête. La blancheur éclatante du vêtement désigne, en effet,
l’éclat brillant de notre solennité. Devons-nous dire : la nôtre ou la
sienne ? Pour être tout à fait exacts, nous devons dire : la sienne
et la nôtre, à la fois. La Résurrection de notre Rédempteur est notre fête,
parce qu’il nous a rappelés à l’immortalité ; mais c’est aussi la fête des
anges parce que, par le rappel des hommes au ciel, le nombre des anges a été
complété. Ainsi donc l’ange est paru en vêtement blanc au jour de sa fête et de
notre fête parce que, par la Résurrection de Notre Seigneur, nous avons été
rappelés au ciel et parce que, par cette Résurrection, les pertes de la patrie
céleste ont été réparées ”.
2. Les Laudes de Pâques. —
L’Église a, dans son livre de prières : le bréviaire, deux prières du
matin, chaque jour : les laudes et prime. Les laudes sont la joyeuse
prière du matin de la Création ; à prime, l’homme pécheur se prépare
sérieusement au jour qui commence. Les laudes sont, à proprement parler le
cantique de l’Église en l’honneur de la Résurrection ; dans cette prière,
l’Église célèbre chaque jour Pâques et la Résurrection. C’est peut-être la plus
belle Heure de toute la journée ; son symbolisme est saisissant. Le jour
commence à poindre, l’aurore rougit l’horizon, la nuit est vaincue. C’est
l’heure où la nature célèbre sa résurrection, les fleurs s’ouvrent, les oiseaux
font entendre leur chant matinal ; c’est l’heure aussi où le Seigneur
triompha de la mort et ressuscita. L’homme se lève de sa couche ; le
Seigneur ressuscité et la nature qui se réveille lui prêchent la résurrection
spirituelle “. Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en
haut ”. Tel est donc le symbolisme des laudes : résurrection du Christ,
réveil de la nature, résurrection spirituelle de l’homme. Nous comprendrons
mieux désormais les laudes ; nous comprendrons pourquoi on y trouve tant
de textes qui chantent la nature et pourquoi, à laudes, on chante si volontiers
l’Alleluia. C’est la fête quotidienne de la Résurrection. Chaque dimanche étant
un écho de la fête de Pâques, la pensée de la Résurrection est encore plus
accusée aux laudes. du dimanche ; de là, les nombreux Alleluia. Que dirons-nous,
alors, des laudes de Pâques ? La pensée de la Résurrection est à son plus
haut degré. Aux matines des grandes fêtes, les psaumes sont spécialement
choisis. Par contre, les psaumes de laudes sont tes mêmes pour toutes tes
f’êtes et tous tes dimanches. C’est que si les matines sont la méditation, le
drame de prière de la fête, les laudes sont la prière du matin. Les psaumes
sont des cantiques de louange qui n’ont aucun rapport particulier avec la
fête ; ils ne servent qu’à la pensée de l’heure. Le rôle des antiennes est
de rappeler sans cesse, à celui qui prie, les pensées de la fête. Au reste, aux
laudes, les antiennes ont une tout autre importance qu’aux matines. Aux
matines, elles sont la clef du psaume ; ce que le psaume doit signifier pour
nous dans cette fête nous est indiqué par l’antienne. Aux laudes, par contre,
les antiennes, en règle générale, n’ont aucun rapport avec le psaume qu’elles
encadrent. Aux matines, les antiennes sont des bouquets de fleurs qui
couronnent les psaumes ; aux laudes, elles ont pour tâche d’unir la pensée
de la fête à la pensée de l’heure. Il en résulte une merveilleuse
mosaïque ; nous célébrons joyeusement notre résurrection
spirituelle ; la nature célèbre avec nous sa résurrection. A cette joie de
la résurrection, nous joignons, après chaque psaume, la joie de la fête du
jour. Aux laudes de Pâques, cette union des pensées de la fête et des pensées
de l’heure sera d’autant plus facile que c’est toujours la même pensée de
résurrection.
Les antiennes de laudes sont, aujourd’hui, le récit
dramatique des premiers événements de la Résurrection, qui eurent lieu à
l’heure des laudes. Elles constituent donc l’action. Les psaumes sont comme le
chœur de l’Église et de la Création qui chantent leurs impressions. C’est un
peu comme les répons entre les leçons. Les laudes de Pâques sont donc le chant
de louange de toute la Création en l’honneur de la Résurrection et, en même
temps, sa prière du matin.
3. La messe de Pâques
(Resurrexi). — La grand-messe de Pâques est le point culminant de l’allégresse
pascale. Tous les événements que nous avons vus se dérouler, toutes les paroles
que nous avons entendues pendant le saint triduum doivent être maintenant une
réalité mystérieuse et présente : Le Christ, notre Agneau pascal, est
immolé. La messe présente une grande unité de pensées et le même thème revient
sans cesse. Le leitmotiv est cette parole de saint Paul que nous venons de
citer : Le Christ, notre Agneau pascal, est immolé (Ép., Grad., Seq.,
Comm.). L’église de station est Sainte-Marie Majeure. Dans notre
joie pascale, nous nous rendons, tout d’abord, auprès de la Mère de Dieu. A l’Introït,
le Ressuscité se tient déjà devant nous et nous adresse lui-même la
parole : “ Resurrexi — je suis ressuscité ”. C’est le chant du Christ
à son entrée dans le monde, sa prière du matin au jour de la Résurrection.
Quelles sont ses premières pensées ? L’abandon complet à son Père, l’union
la plus étroite avec lui. Mais, aujourd’hui, il n’est plus seul ; en tant
que chef de l’humanité rachetée, il offre à son Père tous les membres de son
corps mystique. Le Gloria est aujourd’hui le cantique pascal au sens
propre. Nous célébrons l’“ Agneau qui enlève les péchés du monde ”.
L’oraison exprime les pensées de la fête en deux images opposées : le
vainqueur du Golgotha a triomphé de la mort et a ouvert les portes du
paradis ; c’est pourquoi nous ; demandons la victoire sur le péché et
la mort en nous, et l’accès au paradis (grâce et gloire). — Dans l’Épître, saint
Paul nous présente la fête de la Pâque de l’Ancien Testament comme la figure de
notre fête pascale. Le Christ, notre Agneau pascal, est immolé et prêt à être
mangé. C’est pourquoi les chrétiens doivent rejeter pour toujours le levain du
péché. Au Graduel, nous chantons : CI C’est le jour que le Seigneur
a fait, réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse en lui ”. Ce chant est
répété à toutes les Heures, pendant la semaine de Pâques. Ce chant veut
dire : le langage humain est trop pauvre pour célébrer la grande fête de
Pâques ; c’est pourquoi nous nous contentons de dire, en ces quelques
mots, notre gratitude et nos louanges. L’Alleluia est très
impressionnant. On y entend le leitmotiv de la messe qui est développé par la
séquence qui suit. La séquence n’a été introduite dans la messe que depuis le
Moyen Age. Elle est ce qu’elle doit être, une paraphrase du verset de
l’Alleluia. C’est un dialogue entre l’Église et Madeleine. Elle a donné
naissance aux “ mystères ” de Pâques, si aimés jadis. A l’Évangile, le
disciple de Pierre a l’honneur de nous annoncer le message pascal. Dans le
drame sacré, nous tenons la place des saintes femmes qui viennent au tombeau
“ quand le soleil est déjà levé ”, nous entendons de la bouche de l’ange
(représenté par le diacre) la joyeuse nouvelle, et dans le sacrifice eucharistique,
que nous célébrons en union avec la Mère de Dieu, nous verrons le Ressuscité
lui-même. A l’Offrande, nous nous rendons avec les saintes femmes, des
aromates dans les mains, au tombeau du Christ ; le tremblement de terre (Off.)
nous annonce la Résurrection. La liturgie nous peint ce tremblement de
terre d’une manière concise et énergique : “ Terra tremuit. — La
terre trembla et se tut ”. Dans le saint sacrifice, l’Agneau est immolé et prêt
à être mangé (Comm.).
4. L’Evangile de Pâques. —
Cette semaine, l’Eglise ne nous offre pas de lecture d’Écriture proprement
dite. L’ami de la liturgie s’efforcera, pendant cette semaine, d’approfondir
l’“ Évangile des 40 jours ”, c’est-à-dire les événements qui concernent la
Résurrection du Seigneur. Il n est pas facile de ramener les récits des quatre
évangélistes, surtout ceux qui ont trait aux apparitions, à une concordance
chronologique parfaite. Nous allons, dans l’exposé chronologique suivant, nous
en tenir à l’opinion de la majorité des commentateurs.
La Résurrection elle-même n’eut aucun témoin mortel. Elle
eut, sans doute, lieu de très bonne heure. Pour attester extérieurement le fait
de la Résurrection, un ange roula la pierre qui fermait le tombeau ; les
gardes s’enfuirent. — Puis. les saintes femmes, avec Madeleine, viennent au
tombeau et le trouvent vide. Madeleine, la plus décidée je toutes, retourne en
hâte avertir Pierre et Jean. Pendant ce temps, les autres saintes femmes voient
l’ange qui les envoie vers les disciples ; mais elles se cachent. Puis,
Jean, Pierre et Madeleine viennent au tombeau en courant (Jean, XX, 1 sq.). Ils
trouvent le tombeau vide, mais découvrent des signes de la Résurrection
(les linges pliés). Les disciples s’en vont, mais Madeleine demeure et est
favorisée de la première apparition du Ressuscité. Pendant que les
autres saintes femmes s’en retournent, Jésus se montre à elles (Math., XXIII,
8 ; seconde apparition) ; dans le cours de la journée, Jésus
apparaît à Pierre qui, plus que les autres, avait besoin de consolation (troisième
apparition). Dans l’après-midi, a lieu l’apparition aux disciples d’Emmaüs
qui est racontée tout au long (quatrième apparition ; Luc., XXIV.
13 sq.). Ce récit est un des plus touchants de l’Écriture. Le soir, le
Ressuscité apparaît à dix Apôtres et à beaucoup d’autres disciples dans la
salle du Cénacle (Luc, XXIV, 36 sq ; Jean, XXI, 19 ; cinquième apparition).
Huit jours après, a lieu une nouvelle apparition aux disciples, en présence de
Thomas (sixième apparition). Les disciples s’en vont alors en Galilée où
le Seigneur apparaît à sept d’entre eux, sur les bords du lac de Génésareth,
pendant une pêche ; Pierre est institué pasteur suprême (Jean, XXI, 1
sq. ; septième apparition). Enfin, le Seigneur donne rendez-vous à
tous ses disciples (saint Paul parle de 500) sur une montagne en Galilée ;
il leur apparaît et leur donne l’ordre de mission (huitième apparition).
La dernière apparition eut lieu au moment de l’Ascension. Nous ne savons pas si
le Seigneur apparut d’autres fois à tous ses disciples ou à quelques-uns
d’entre eux. Saint Paul signale encore une apparition à Jacques le Mineur. La
plupart des commentateurs admettent que le Seigneur apparut tout d’abord à sa
sainte Mère. L’Écriture n’en dit rien, mais le sentiment naturel semble
l’exiger. — Il serait à désirer que les pasteurs profitent. du temps pascal
pour faire aux associations liturgiques quelques instructions sur ces
événements. Ce serait non seulement instructif, mais édifiant. Ceux qui
n’appartiennent à aucune association pourront se livrer à cette étude en leur
particulier (peut-être en union avec une cérémonie pascale). L’“ Évangile des
quarante jours” est riche en consolations.